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TÉMOIGNAGE. Soumission chimique : « Personne ne me croyait, certains disaient que j’avais abusé de l’alcool » : droguée à son insu, le récit d’une Perpignanaise

Étudiante appliquée en commerce et finances, avant de partir à Madrid suivre une formation de kinésithérapeute, une jeune Perpignanaise Victoire avait 19 ans lorsqu’en soirée, dans le carré VIP d’une discothèque des Pyrénées-Orientales, une main inconnue et malintentionnée a mélangé à son verre de vodka un cocktail d’ecstasy, d’amphétamines et de méthamphétamines. Un douloureux témoignage.

Le mélange aurait pu s’avérer mortel. Victoire*, une jeune Perpignanaise aujourd’hui âgée de 22 ans, en frémit encore. Or, elle l’ignorait totalement ce samedi soir du 2 août 2019, lorsqu’elle s’installe avec des amis dans un espace privé du carré VIP d’une discothèque des Pyrénées-Orientales. Un rappeur signe un show case qui attire un monde fou dans la boîte. Un chagrin d’amour sous le bras, « je suis sortie avec un groupe de copains pour me changer les idées », raconte Victoire qui boit alors deux verres, deux vodkas Red-Bull, avant de sombrer dans un black-out complet. 

Je divaguais, je souffrais d’un mal de dents insupportable

Elle découvre plus tard que ses camarades, entendus à titre de témoins, la revoient courir de tous les côtés, en tous sens. « Il paraît que je m’enfuyais, je titubais, on ne pouvait pas m’approcher, j’étais un peu comme une bête sauvage », devine-t-elle dans la voix des autres. Car dans sa tête, les souvenirs reviennent uniquement par flash. « Je suis allée aux toilettes, j’ai laissé mon verre sur la table en me disant qu’on ne craignait rien, on était en VIP, en sécurité. » De retour, Victoire rejoint ses camarades quand, soudain, « je me suis sentie vaseuse, comme si j’avais bu la bouteille de vodka entière, à moi toute seule ». C’est le noir absolu.

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Lorsqu’elle se réveille, elle est à l’extérieur de la discothèque, laissée pour morte dans un bois, à même le sol. Elle souffre d’amnésie. Sa mère, qui la récupère grâce à un jeune homme qui vole à son secours et la ramène à la maison, la retrouve le pantalon blanc maculé de terre. Recroquevillée sur elle-même. « J’avais le comportement étrange d’un chien battu, traumatisé », poursuit Victoire qui souffre sur l’instant d’un mal de dents insupportable. « J’avais la mâchoire comme compressée, douloureuse, je n’arrivais pas à parler, à prononcer un mot, je ne pouvais que crier, hurler à la mort. » 

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Des prélèvements sanguin et urinaire évocateurs d’un cocktail mortel de produits chimiques

C’est dans cet état que sa maman la conduit chez SOS Médecin qui l’adresse aux Urgences du centre hospitalier de Perpignan. Sur place, Victoire est tellement agitée que les infirmières sont obligées de l’attacher au brancard afin de lui faire une prise de sang et un test urinaire. « Ensuite, on m’a injecté un produit pour nettoyer les substances qui polluaient mon sang », témoigne la victime qui n’a toujours pas retrouvé ses esprits et reste deux heures sous perfusion. À son réveil, toujours selon les dires de son entourage et des praticiens, elle est transférée à l’unité médico-légale de l’hôpital où elle est examinée. « D’après le diagnostic, j’étais noire de bleus. Le docteur a mesuré la taille de tous les hématomes, toutes les griffures et tous les coups sur mon corps. J’en avais partout. »

Les résultats des examens sont sans appel, Victoire est positive à l’ecstasy, aux amphétamines et méthamphétamines.
DR

Dans la foulée, le résultat des prélèvements toxicologiques tombe. Sans appel. Victoire, qui n’a jamais pris de produits stupéfiants, a été droguée à son insu par des substances de synthèse, chimiques. Elle est positive à l’ecstasy, aux amphétamines et méthamphétamines. « Sûrement mis dans un de mes deux premiers verres », pense-t-elle. Alors que le calvaire ne fait que commencer. « À part maman, personne ne me croyait, certains disaient que j’avais abusé de l’alcool, d’autres ne se préoccupaient que de savoir comment j’étais habillée. Pas trop court, pas trop aguichante ? Savoir si j’avais été violée ou pas? », encaisse Victoire qui décide de déposer plainte. « Les gendarmes m’ont assuré que ça arrivait tout le temps, mais j’ai tenu bon, j’ai porté plainte. » Convaincue de ne jamais obtenir de réponse. « Il y avait tellement de monde ce soir-là… Depuis, je n’ai d’ailleurs pas eu la moindre nouvelle de la procédure. Mais, si elle peut servir à aider les autres, ce sera déjà bien. Car pour moi, c’est peine perdue. La plaie restera béante, les cicatrices ouvertes « , ressent Victoire, aujourd’hui partie suivre des études de kinésithérapie et vivre à Madrid.

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Je ne suis ni députée, ni artiste… ma plainte n’aboutira pas

« Je ne suis ni députée ni artiste, je ne suis personne. Donc, je sais que ma démarche n’aboutira pas. Or, cette agression n’est pas derrière moi, elle ne le sera jamais parce que je n’ai pas le mot « fin » posé dessus. L’histoire reste en suspens, j’apprends petit à petit à vivre avec », se résout l’étudiante aux séquelles indélébiles. Et qui ne se contente pas d’un épilogue manqué. Victoire continue de chercher à comprendre pourquoi cette nuit-là, « une partie de moi m’a été arrachée ».

« La plainte a été classée sans suite » confirme le procureur de Perpignan

Contacté, le procureur de la République, Jean-David Cavaillé confirme le classement sans suite de la plainte déposée par Victoire. « L’enquête n’a pas permis d’identifier l’auteur des faits et la procédure a été classée le 2 juin 2020 », précise le magistrat.

Sensibilisé au phénomène de la soumission chimique par des verres « drogués » ou des injections pratiquées à l’insu des personnes,  » j’ai publié une note de service à l’été 2022 mais nous n’avons eu que très peu de signalements et essentiellement pour des faits qui seraient survenus dans les départements de l’Aude et de l’Hérault. Dans les Pyrénées-Orientales, sur les quelques procédures traitées, les analyses toxicologiques se sont révélées négatives », conclut-il.

 

*Victoire est un prénom d’emprunt.

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