Économie

Protection sociale: une réforme qui balise la route pour un Etat stratège

Par Kawtar CHAAT.

Instrument privilégié du développement équilibré et de la justice spatiale, la protection sociale est devenue une nouvelle priorité au tournant du millénaire, le Maroc ayant promu la réforme des systèmes de protection sociale comme élément clé de ses stratégies de gestion des risques sociaux. Retour sur un panorama de réformes prometteuses.

Ces systèmes constituent le pilier fondamental d’un état stratège et le moyen le plus explicite pour réduire les inégalités et, par conséquent, renforcer la cohésion sociale. Toutefois, en dépit des progrès significatifs enregistrés en matière de généralisation de protection sociale, il demeure primordial de consolider des systèmes universels, complets, durables et résilients. Ce défi est étroitement lié à l’impératif d’adapter les systèmes de protection sociale pour l’avenir, d’autant plus que la pandémie du Covid-19 a mis en évidence l’importance de ces dispositifs pour faire face aux impacts socio-économiques des crises.

Les systèmes de protection sociale s’accrochent à leur résilience

La situation actuelle présente un scénario de défis, mais pas que. Elle offre également des opportunités d’avancer sur la voie d’une reprise équitable après la pandémie, une équité couronnée par une généralisation de la protection sociale.

Il s’agit, en effet, d’un objectif urgent qui met en jeu de nouveaux risques résultant de l’intersection des impacts socio-économiques de divers aléas climatiques et de la crise sanitaire, ainsi que des nœuds d’un développement social inclusif, notamment la transformation technologique, l’incontournable transition vers des écosystèmes durables, et les dynamiques démographiques et migratoires, le tout dans un contexte de forte incertitude et d’instabilité mondiale et régionale.

Dans le Policy Paper “Protection sociale au Maroc: 8 recommandations pour un État-stratège”, élaboré par le consultant en Stratégie et en Organisation, spécialiste des problématiques de modernisation et de transformation des administrations publiques, Hicham Kasraoui, l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMS), souligne la nécessité d’impulser la modernisation du système de soins et l’émergence des filières médicales et pharmaceutiques, et de promouvoir la prévention des risques comme levier fondamental de préservation du système national de protection sociale.

Encore loin de l’universalité et de la viabilité financière, les systèmes de protection sociale nécessitent un renforcement du financement et davantage de solidarité, qui restent des éléments impératifs à prendre en compte dans la conception de ces systèmes et de leurs prestations.

Le Policy Paper de l’IMS appelle, dans ce sens, à définir une politique sociale centrée autour d’une offre sociale intégrée et basée sur un système de protection cohérent, et à développer les structures et les mécanismes de recouvrement social tout en assurant la primauté du devoir de solidarité.

La protection sociale contribue ainsi à l’émergence d’un état stratège adapté aussi bien aux défis du présent qu’aux objectifs du futur, s’attaquant à la répartition inéquitable des revenus, à l’élargissement de l’horizon des droits et à l’intégration des outils numériques dans la gestion de ces droits.

D’ailleurs, M. Kasraoui, également spécialiste des politiques publiques dans les domaines de la fonction publique, de la justice, de la protection sociale et de l’éducation et des transformations numériques associées, a indiqué que le modèle de l’État stratège est devenu incontournable pour penser et réaliser efficacement les chantiers structurants du pays en ce 21e siècle.

“Cela s’applique aussi bien au Maroc qu’à tous les pays avec un agenda ambitieux de développement, y compris les grandes puissances mondiales. L’exemple de la protection sociale le démontre très bien”, a-t-il expliqué dans un entretien accordé à la MAP.

Cette réforme est à la fois complexe de par ses adhérences avec les autres chantiers sociaux (santé, retraite, logement, emploi, solidarité…) et compliquée de par les moyens gigantesques qu’il va falloir mobiliser pour financer ce système. Face à cette double difficulté, seul un État “stratège” qui pense cette réforme dans toute sa complexité et dans sa globalité pourrait réussir le pari de cette réforme, a-t-il ajouté.

Ceci dit, la réforme s’impose avec une approche renouvelée et globale des risques économiques, sociaux et environnementaux, tout en démarchandisant les prestations de la protection sociale dans le cadre d’une société de soins. L’identification des orientations stratégiques dans ce contexte est primordiale et implique de solides efforts de planification, de gestion et de renforcement institutionnel.

À présent, le défi auquel font face les systèmes de protection sociale est double : assurer une protection adéquate dans une situation d’incertitude accrue sur le marché du travail, et lutter contre la pauvreté afin d’éviter qu’un groupe social ne soit piégé dans l’exclusion.

Au Maroc, l’approche participative et l’écoute des différentes parties prenantes sont absolument nécessaires pour sécuriser cette réforme. Et il ne faut pas oublier que ce chantier est aussi un pilier du Nouveau modèle de développement (NMD) et fait partie d’un panorama de réformes plus large, a affirmé l’expert, appelant les citoyens et les organisations citoyennes (universités, partis politiques, syndicats, institutions,…) sont tous appelés à contribuer à ce chantier et à le promouvoir auprès du grand public.

Quid du rôle du secteur privé ?

Le secteur privé peut jouer un rôle important dans la promotion et la réalisation de socles de protection sociale, d’autant plus que cette dernière renforce la compétitivité des entreprises, augmente la productivité, réduit l’absentéisme et diminue la rotation du personnel.

Pour sa part, la protection sociale permet d’améliorer la qualité de vie en augmentant les revenus, et par conséquent, stimuler la demande globale de biens et de services, ce qui peut à son tour créer de nouvelles opportunités commerciales pour les entreprises du secteur privé.

À ce propos, M. Kasraoui a relevé que le secteur privé est particulièrement attendu sur la réforme de la protection sociale, d’abord en donnant l’exemple et en remplissant ses obligations sociales vis-à-vis de ses employés, soulignant que les entreprises nationales doivent rester attentives à toutes les opportunités économiques que présente cette réforme.

“La montée en puissance de notre système de protection sociale engendrera une hausse de demande sur les infrastructures sanitaires et sur les produits médicaux et pharmaceutiques. Nul besoin d’expliquer aux acteurs économiques que c’est le moment de se positionner et de faire ses bons choix d’investissement pour se développer”, a-t-il poursuit.

Où en est l’intégration de l’informel ?

Le passage de l’informel au formel est un processus lent, et les pays ne doivent pas attendre que cette évolution soit achevée pour commencer à intégrer leurs travailleurs dans les régimes d’assurance sociale. La protection sociale est un antidote pour cette part sombre pour toute économie. Il s’agit, tel que réitéré à maintes reprises par la ministre de tutelle Nadia Fettah Alaoui, d’un levier pour réduire la taille du secteur informel.

Entre l’intégration progressive des dispositifs de micro-assurance existants, et la mise en place de dispositions sur mesure pour un groupe particulier de travailleurs informels, le défi est d’adapter les mécanismes de protection sociale au contexte spécifique de l’économie informelle.

Dans le débat sempiternel de généralisation de protection sociale, il n’existe pas de système exemplaire, qui puisse être présenté comme le modèle idéal. La Sécurité sociale, là où elle s’est développée, elle a évolué avec les fluctuations de la société et doit être sans cesse repensée en fonction des évolutions économiques et financières, médicales et démographiques, sans faire abstraction du contexte international.

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