Culture

La bibliothèque « L’olivier », un édifice culturel qui promeut le rayonnement de la civilisation arabe à Genève

mercredi, 28 février, 2024 à 10:58

Par Nizar Lafraoui
Genève – Dans son bureau donnant sur la rue de Fribourg, au cœur de la ville de Genève, Alain Bittar met les dernières touches au programme du pavillon arabe pour le prochain salon du livre, au milieu d’une collection variée de livres traitant de littérature, de religion et de pensée politique. Il a passé 40 ans de sa vie à promouvoir la culture arabe et à édifier des ponts de dialogue civilisationnel entre l’Occident et un espace culturel en proie à la stigmatisation et à la simplification.

Nous sommes au milieu de la bibliothèque “L’Olivier” et de l’Institut des Cultures Arabes et Méditerranéennes, deux facettes d’un même projet culturel qui offre aux enfants de la troisième génération d’immigrants l’occasion d’explorer leurs racines tout en favorisant le dialogue et l’échange avec les Suisses et les Européens dans un contexte chargé de stéréotypes et de la crainte de l’autre, souvent associée à tort au terrorisme et au sous-développement.

Originaire du Liban et de Syrie, né en Égypte et résidant au Soudan, Alain a atterri en Suisse à l’âge de six ans. Il a étudié, vécu et grandi en Européen jusqu’à ce qu’un choc identitaire le secoue à l’approche de la trentaine, lorsque les autorités helvétiques ont refusé de lui accorder la citoyenneté suisse en raison de son activisme étudiant pendant l’ère de la jeunesse idéaliste de gauche.

Ignorant complètement l’arabe, dont il ne connaissait que quelques formules de politesse, Alain entreprend un voyage de redécouverte de soi et de reconnexion avec ses racines. Son périple bohémien le mène à travers diverses régions, du Maroc au Levant en passant par l’Égypte, ravivant ainsi son intérêt pour la culture arabe sous toutes ses formes et réapprenant la langue dans les camps de réfugiés palestiniens, lui qui n’avait jamais entendu parler d’Oum Kalthoum ni de Fairouz auparavant.

Interrogeant son identité, Alain Bittar s’est lancé dans cette grande aventure qui a duré un an. Accompagné d’un groupe de ses camarades étudiants, notamment ceux d’origine arabe, il fonde la bibliothèque “L’Olivier” comme un sanctuaire de la culture arabe à Genève.

Un espace qui incarne les valeurs de diversité et de différence et qui ouvre de nouveaux horizons pour cette culture. C’est l’Arabe chrétien qui se souvient avec gratitude de l’influence de l’imam d’une mosquée à Genève, qui a contribué à façonner le stock de livres de l’espace, au point qu’il veillait à acheter deux exemplaires de chaque livre, en mettant l’un dans la bibliothèque de l’institution islamique qu’il dirigeait et en emportant l’autre à la bibliothèque “L’Olivier”.

L’évolution du contenu de la bibliothèque reflète, selon Alain, le développement des concepts, des courants intellectuels, politiques et culturels dans le monde arabo-islamique. Depuis la prédominance des livres rouges à tendance nationaliste de gauche, les étagères accueilleront ultérieurement un afflux croissant de livres religieux et d’ouvrages sur l’islam politique.

Cela est devenu évident après les attentats du 11 septembre, où Alain a ressenti un retour enthousiaste aux expressions de la culture originelle et un zèle pour se redécouvrir face aux campagnes de stigmatisation, d’assimilation et d’islamophobie, en particulier parmi les enfants de la troisième génération d’immigrés.

L’évolution des services de la bibliothèque reflète également les profonds changements dans les modes de consommation culturelle. Autrefois riche en une vaste collection de vidéos de films arabes, ainsi qu’en une discothèque de musique comprenant 4.300 disques et CD dont les plus anciens remontent à 1880, cet héritage a aujourd’hui perdu de sa signification, car l’internet et les plateformes de diffusion en continu ont tout changé, explique Alain, impuissant face à l’évolution de la technologie.

Ces dernières années, l’homme observe un intérêt croissant pour découvrir les diverses expressions de la culture arabe. Un club de cinéma ainsi qu’un club de lecture arabophone et francophone ont été fondés à l’initiative d’étudiants de l’Université de Genève. La liste de diffusion de l’institut s’est élargie et les followers des événements de l’institut sur Facebook se comptent par milliers.

Alain reconnaît les difficultés rencontrées dans le dialogue culturel arabo-européen, un processus qu’il a contribué à amorcer à la fin des années 80 avec la création d’une version arabe du “Monde Diplomatique”. Il souligne les défis persistants liés à la modification des stéréotypes, surtout à l’heure où une tendance européenne émergente lie la religion, le terrorisme et l’immigration, ce qui ne fait qu’attiser les tensions.

C’est pourquoi, explique cet arabo-suisse décoré de l’Ordre du Mérite de la Ville de Genève, “nous sommes tenus de créer des canaux permanents pour diffuser des images différentes”.

Concernant l’immigration arabe en Suisse, il rappelle que les premières vagues étaient composées d’individus des classes supérieures du Moyen-Orient. L’immigration de travailleurs est arrivée plus tard, principalement d’Italie, d’Espagne et du Portugal, puis de Turquie, avant les immigrations arabes qui sont arrivées tardivement et de manière individuelle pour la plupart, ce qui n’a pas permis la formation d’une communauté arabo-musulmane cohérente et consciente de ses intérêts collectifs.

Selon lui, le monde arabe n’est pas une priorité dans la politique étrangère suisse, contrairement à l’Afrique, par exemple. Cela se reflète également dans la sphère culturelle, où l’exposition de Genève, par exemple, comprend une importante galerie de culture africaine soutenue par le ministère suisse des affaires étrangères, ce qui n’est pas le cas du pavillon arabe. Dans la mentalité suisse et dans les médias, le monde arabe est souvent réduit à une “carte postale” touristique imaginaire. Le véritable rayonnement de la culture arabe est peu visible dans les médias locaux, et sa présence est fréquemment associée à l’actualité brûlante du moment.

La route vers le rayonnement culturel arabe en Suisse est longue et ardue de l’avis d’Alain Bittar, mais l’homme qui poursuit cette voie depuis quatre décennies n’est pas prêt à remettre les clés de “L’Olivier” en cours de route.

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