Économie

Économie de l’innovation : interview avec le président de la Fondation Gen J, Tarik Haddi

Le président de la Fondation “Jil Al Ibtikar Al Maghribi” (Gen J), Tarik Haddi, a accordé une interview à la MAP sur l’importance de la transition vers une économie de l’innovation au Maroc et les facteurs clés de succès pour assurer cette transition. En voici la teneur :

 

– Qu’est-ce qu’on entend dire par l’économie de l’innovation ?

Tout d’abord, je définis l’économie de l’innovation par opposition à l’économie de rattrapage, qui se caractérise essentiellement par l’imitation sur les plans de la technologie, des modèles d’affaires et des méthodes managériales, par des barrières à l’entrée dans le cadre de politiques de champions nationaux et de substitution aux importations et par un financement essentiellement bancaire (au détriment des financements désintermédiés).

L’économie de rattrapage aboutit ainsi à des phénomènes de concentrations, de positions dominantes et donc des dispositifs de défense des pouvoirs de marché, notamment à travers la réglementation, avec l’objectif de fermer les marchés aux nouveaux entrants (outsiders).

La “destruction créatrice”, l’innovation disruptive si vous préférez, n’opère pas puisque les outsiders, plus innovants, plus productifs, plus compétitifs, sont empêchés de concurrencer les insiders.

Et les insiders n’ont plus besoin d’innover faute de concurrence. Le pays accumule certes du capital, mais les rendements de ce capital sont décroissants, et la croissance du pays finit par diminuer avec le temps.

A contrario, une économie de l’innovation est une économie où la croissance économique et le développement social se fondent sur l’innovation. Toutes les études démontrent en effet une corrélation positive entre innovation (généralement mesurée par le nombre de brevets déposés par le pays) et croissance du PIB par habitant.

Plus important encore est l’effet cumulatif de l’innovation sur la croissance économique : l’innovation permet l’amélioration globale du savoir (des externalités technologiques positives) et les innovateurs du pays s’appuient sur la créativité d’autres innovateurs pour continuer à innover, dans une forme de ruissellement technologique.

Cela crée un phénomène cumulatif de l’innovation, dont les puissants effets multiplicateurs sur la croissance économique ne sont plus à démontrer.

Outre le fait que ce soit un moteur de croissance, l’innovation a de nombreuses autres externalités positives. Sur l’emploi notamment, puisque l’innovation améliore la productivité et donc rend plus attractif l’offre de valeur des entreprises innovantes et leur permet de cibler plus de consommateurs avec une offre moins chère, plus qualitative, plus adaptée aux besoins…, donc de plus grands marchés.

Ce développement de l’activité crée des besoins d’emplois supplémentaires. Après d’interminables débats d’experts sur le sujet de l’impact de l’innovation sur l’emploi, il est aujourd’hui convenu que les effets “productivité” et “d’échelle”, positifs sur l’emploi, sont plus puissants que l’effet “concurrence” qui provoque l’éviction des entreprises non productives et de “substitution” du travail par le capital dans les entreprises innovantes.

L’innovation réduit également les inégalités en générant plus de mobilité sociale. En effet, l’innovation permet à de nouveaux talents d’entrer sur le marché… du fait même de leurs innovations.

Et nous constatons que les entreprises innovantes rémunèrent davantage leurs employés et surtout les moins qualifiés d’entre eux. Elles forment plus et mieux leurs employés, notamment les moins qualifiés d’entre eux, et de cause à effet, la promotion interne, “l’ascenseur social”, y est plus dynamique.

D’autre part, l’innovation a toujours contribué à l’augmentation de l’espérance de vie, en bonne santé, bien plus qu’elle ne contribue à celle du PIB par habitant : pensez à la pénicilline, aux antibiotiques, aux vaccins, à l’ARN messager… avec des délais de mise en œuvre de plus en plus réduits, comme nous avons pu le vivre avec la Covid-19.

Enfin, c’est certainement l’innovation qui va permettre de réduire nos émissions de CO2 grâce aux énergies renouvelables (ENR), à l’hydrogène vert, à la fusion nucléaire demain, etc.

Et puis l’innovation permet non seulement de remplacer une technologie carbonée par une autre moins polluante, mais aussi et surtout de changer radicalement nos modes de production pour utiliser moins de ressources naturelles et finies.

L’innovation nous permettra même, un jour que j’espère proche, de capter tout le CO2 que nous émettons.

 

Quels sont les facteurs clés pour assurer la transition vers une économie de l’innovation au Maroc ?

L’innovation devient le principal moteur de la croissance, lorsque le pays se rapproche de la frontière technologique. Et donc l’un des principaux facteurs clés d’une économie de l’innovation est l’investissement massif dans l’économie du savoir : école, enseignement supérieur, centres de recherche fondamentale, incitation à la R&D dans les entreprises, formation professionnelle…, mais surtout apprentissage et formation durant toute la vie grâce aux technologies de production et de diffusion de la connaissance et des idées.

Pour qualifier ce phénomène, un mot a été inventé “mobication” qui traduit une mobilité professionnelle, rendue nécessaire par l’accélération de l’obsolescence des savoirs et des métiers, basée sur l’éducation durant toute la vie.

C’est aussi un cadre institutionnel favorisant (i) la concurrence et la protection des modèles d’affaires innovants, (ii) l’ouverture au reste du monde pour la captation du savoir et des bonnes pratiques en matière d’innovation à travers la compétition commerciale internationale et (iii) la flexisécurité pour réduire les rigidités qui entravent les processus de l’innovation disruptive tout en protégeant les victimes de la destruction créatrice.

Il est également question du développement des financements alternatifs qui financent justement ces nouveaux modèles d’affaire plus risqués : capital investissement, surtout capital-risque / innovation, mais aussi crowdfunding et des compartiments boursiers technologiques (à l’image du Nasdaq).

Mais avant tout, c’est un changement de culture, à tous les étages de notre société. Il faut désirer sans frein l’innovation pour pouvoir libérer notre potentiel d’innovation. L’innovation doit être perçue comme la solution à tous nos problèmes et non pas comme un gadget ou, pire, comme une menace !

La transition à l’économie de l’innovation doit être ressentie comme une nécessité absolue pour sortir notre pays de la trappe à revenu intermédiaire et pour la réalisation de notre Nouveau Modèle de Développement.

 

Quel rôle joue le secteur privé dans cette transition ?

Fondamental, puisque de tout temps et dans tous les pays du monde, l’entreprise est au cœur des processus d’innovation. La société civile aussi, puisque nous pouvons constater au Maroc et en Afrique la vivacité et la créativité.

Cependant, pour réussir notre transition à une économie de l’innovation, il faut que l’innovation soit la matrice centrale, la pierre angulaire, de toutes nos stratégies privées, mais aussi publiques. Ces stratégies doivent intégrer totalement, de la conception jusqu’à l’évaluation, en passant bien entendu par la mise en œuvre, les quatre côtés du carré magique “Entreprises – État – Régions – société civile”.

Il faudra donc une gouvernance unifiée de toutes ces stratégies, pour éviter leur déploiement en silo, ce qui nuit à la cohérence de l’ensemble. C’est pour ça que nous proposons un organe comme le CNEA (Comité national de l’environnement des Affaires) présidé par le Chef du Gouvernement et qui regroupe les principales parties prenantes, pour aligner les intérêts de tous les acteurs.

 

Comment votre Fondation compte-t-elle procéder pour participer à l’accélération de cette transition ?

En agissant sur deux principaux volets : la culture entrepreneuriale et les politiques publiques.

Concernant la culture, nous sensibilisons à grande échelle (Institutions publiques, entreprises, universités et grandes écoles, médias et réseaux sociaux, l’ouvrage grand public “Gen J-Génération innovation made in Morocco”, …) à la nécessité d’une transition à l’économie de l’innovation et sur l’accélération que pourrait apporter une innovation qui se fondent sur notre culture et nos ressources fondamentales.

Après l’étude “Gen J” en cours sur l’état de l’innovation au Maroc, nous souhaitons aussi pouvoir développer, avec des experts, des dispositifs d’accompagnement et de formation aux entreprises qui désirent booster leurs processus d’innovation ou développer une innovation “made in Morocco”.

Un label “Gen J” est également prévue pour distinguer les organisations (entreprises, administrations, écoles, universités, structures d’accompagnement de l’entrepreneuriat innovant, associations, …) qui adoptent avec succès des démarches d’innovation fondées sur la culture et les ressources locales.

Nous travaillons aussi, en coordination avec le ministère de la Solidarité, de l’Inclusion Sociale et de la Famille, sur une plateforme crowfunding et crowdsourcing pour financer et accompagner des projets d’entrepreneuriat social, marocains et innovants.

Pour ce qui est des politiques publiques, nous souhaitons construire des recommandations concrètes à destination de toutes les parties prenantes de la transition à une économie de l’innovation : ministères concernées, Administrations, GPBM, CGEM, AMIC, MSEC (Fédération de l’écosystème startup au Maroc), Régions, Universités et centres de recherches, Structures d’accompagnement, … Une étude a été lancée avec l’appui du Conseil économique social et environnemental, pour fonder ces recommandations.

Un Index “Gen J” permettra par la suite de suivre la mise en œuvre de ces politiques, leurs évolutions et leurs impacts.

Bien sûr, tous ces projets nécessitent des ressources. Les membres fondateurs de la Fondation “Gen J” se mobilisent autant que possible, mais il nous faudra attirer davantage de ressources humaines et financières…

 

Quels sont vos priorités ?

L’étude “Gen J” et la plateforme crowdfunding & crowdsourcing sont les priorités de la Fondation.

L’étude sera déterminante pour l’élaboration des recommandations de la Fondation à toutes les parties prenantes de la transition à une économie de l’innovation au Maroc. Elle couvrira les champs institutionnel (politiques et stratégies nationales, mécanismes d’appui…) et entrepreneurial (processus d’innovation, R&D, besoins…au sein des entreprises notamment).

La plateforme s’inscrit dans la stratégie GISR (Green innovative social regeneration) du ministère de la Solidarité, de l’Inclusion Sociale et de la Famille, et vise à accompagner (volet crowdsourcing) et financer (volet crowdfunding) les projets d’entrepreneuriat social innovant dans toutes les régions du Maroc.

Nous sommes persuadés que ces deux projets sont de nature à enclenché un changement de trajectoire du développement de notre pays pour une transition à une économie de l’innovation.

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