Culture

Cinq questions au chercheur Mohamed Lemlouki, auteur du « Guide du chercheur en patrimoine culturel »

jeudi, 11 janvier, 2024 à 0:14

Propos recueillis par : Abdelatif ABILKASSEM.
Rabat – Un nouveau livre intitulé “Guide du chercheur en patrimoine culturel” vient d’être publié par le professeur universitaire et chercheur Mohamed Lemlouki.

Dans une interview accordée à la MAP, M. Lemlouki répond à cinq questions sur les motivations et les objectifs de la publication de ce guide et le rôle du patrimoine culturel dans le développement économique.

Il met également en avant la position pionnière du Royaume au niveau des éléments inscrits au patrimoine mondial et les efforts de protection du patrimoine culturel national sur les plans officiel et civil.

1- Vous avez récemment publié “Guide du chercheur en patrimoine culturel”. Quelle a été votre motivation à publier cet ouvrage et quels sont les principaux objectifs de ce guide?

L’une des raisons de la publication de ce guide tient au fait qu’il traite du thème du patrimoine culturel, devenu un courant de recherche qui prend de l’ampleur et englobe de multiples spécialisations. Ceci dit, après une modeste expérience d’enseignement universitaire, de suivi des mémoires de fin d’études des étudiants et d’encadrement d’un ensemble de stages et de visites de monuments historiques et de sites archéologiques, nous avons été convaincus de l’ampleur du besoin des étudiants, des chercheurs et d’autres parties intéressées par une référence sous la forme d’un guide organisé du patrimoine culturel.

Les objectifs les plus importants de cette publication peuvent être résumés par le fait qu’elle cherche à apporter une valeur ajoutée qualitative susceptible de faire progresser la recherche universitaire en termes de vision, de méthode et de contenu, étant donné qu’elle englobe un certain nombre de caractéristiques (pédagogiques, cognitives, techniques et développementales) qu’on trouve rarement dans les brochures universitaires destinées principalement aux étudiants.

Cet ouvrage rassemble aussi des données dispersées et différentes sur le patrimoine culturel et les met au service des milieux concernés. Cette tendance, qui s’est développée de manière exponentielle dans les recherches liées au patrimoine, tend vers le terrain et s’écarte de la théorisation. La publication d’un guide du patrimoine culturel s’inscrit dans cette otique et vise à enrichir le débat sur le travail de terrain et les moyens d’en tirer profit, outre le fait d’amener le chercheur à traiter les problématiques actuelles du développement, et à participer à la proposition de solutions adaptées pour un bon investissement et une bonne intervention dans ce domaine.

D’autre part, ce guide répond également à un besoin urgent lié à la fragilité du patrimoine culturel et à la mort de la mémoire qui le porte avec la disparition des personnes âgées. Il contribue par conséquent à accompagner les chercheurs et à les orienter dans des travaux et des projets visant à préserver et à documenter le patrimoine culturel à travers son inscription et sa classification sous forme de dictionnaires, d’encyclopédies, de thésaurus, ou sous forme d’atlas taxonomiques.

2- Vous estimez dans votre livre que l’intérêt des pays pour leur patrimoine culturel dépasse la nostalgie du passé, pour constituer un pilier fondamental de leur développement économique. Comment expliquez-vous cela?

Personne ne doute désormais que le patrimoine culturel constitue un pilier fondamental du développement économique des pays et des communautés à plusieurs niveaux directement et indirectement, de manière à intégrer le patrimoine matériel à l’immatériel. Si l’on part des aspects du patrimoine les plus éloignés, dans l’esprit de certains, de la dimension économique, comme les contes, les chants, la musique folklorique, la gastronomie, etc., alors tout le monde sait, par exemple, que l’attractivité et la renommée de la ville de Marrakech sont dues d’abord à la place de Jemaâ el-Fna et à ses activités de loisirs et de divertissement populaires bien avant son patrimoine urbain et historiques. Il en va de même pour le Moussem de Tan-Tan et le Festival des cerises. Mais comment faire pour préserver ce patrimoine des stéréotypes ? Il doit y avoir une recherche scientifique solide qui préserve l’authenticité et la singularité de ces éléments et leur lien avec leur environnement naturel.

Parmi les avantages socio-économiques liées au patrimoine culturel, il y a le développement social qui en résulte, et qui se traduit par les opportunités d’emploi dans ce secteur, en particulier pour les artisans et ceux qui possèdent des compétences et des connaissances patrimoniales, car de nombreuses catégories sociales travaillent dans des métiers traditionnels, telles que la forge, la menuiserie, la tannerie, la fabrication du papier et l’orfèvrerie. L’intérêt pour le patrimoine a relancé leurs métiers, amélioré leurs revenus et ravivé leurs compétences. Cette catégorie est désormais considérée comme une soupape de sécurité pour la perpétuation et la préservation du patrimoine. Les indicateurs en sont la demande croissante de produits artisanaux au niveau local et international, ainsi que la renommée de nombreuses personnalités du folklore populaire et leur invitation à des manifestations nationales et internationales. Preuve de cet intérêt : les commerces proposant des produits du patrimoine sont désormais basés dans les plus importantes grandes villes et s’installent parfois dans les centres les plus chers des zones urbaines et dans les aéroports du Royaume. C’est la conséquence naturelle de la croissance de l’activité touristique, tant interne qu’externe.

3- Le Maroc occupe une position de leader en termes de nombre d’éléments nationaux inscrits au patrimoine immatériel au niveau du continent africain et du monde arabe, que ce soit sur les listes de l’UNESCO ou de l’ICESCO. Quelle lecture faites-vous de cette place avancée et comment évaluez-vous les efforts du Royaume dans ce domaine?

Il existe des facteurs interconnectés qui qualifient le Maroc pour cette position avancée. Du point de vue de l’histoire et de l’expérience, la politique marocaine a accordé une grande attention à la création précoce d’organismes, d’institutions et d’établissements et à la mise en place de projets de restauration liés au domaine du patrimoine, à sa préservation et à son archivage. Par exemple, de nombreux monuments historiques du Maroc ont été inscrits aux registres de préservation en vertu des décrets et des lois contraignants (le dahir du 11 août 1914 classant comme monuments historiques les murailles de Marrakech et celui de 1932 relatif aux murailles du Fort portugais et de la Kasbah d’Agadir en sont des exemples concrets).

Le Maroc est également l’un des premiers pays ayant adhéré à l’UNESCO lors de la première session de sa conférence générale à New Delhi, capitale de l’Inde, en novembre 1956. Il a présidé à deux reprises l’une de ses instances présidentielles : à savoir le Conseil exécutif, entre 1964 et 1965 en la personne de Mohamed El Fassi, et entre 2001 et 2003 en la personne d’Aziza Bennani. Le Maroc a réussi à inscrire plusieurs éléments de son patrimoine culturel au Patrimoine de l’humanité de l’UNESCO (Fès en 1981, Marrakech en 1985, la Kasbah d’Aït Ben Haddou en 1987, Meknès en 1996, Volubilis et Tétouan en 1997, Essaouira en 2001, El Jadida en 2004). Il s’agit également de nombreux éléments du patrimoine culturel immatériel de tout le Royaume, tels que le patrimoine oral de la place Jemaâ el Fna en 2001, le Moussem de Tan-Tan en 2004, le Festival des cerises de Sefrou, la danse Taskiwin, la musique Gnaoua, le couscous, la fauconnerie, le palmier dattier, l’Arganier et la Tbourida, etc.

Du point de vue géographique, la position du Maroc en fait un lieu de rencontre des civilisations et des influences étrangères. Un patrimoine riche et diversifié s’est formé sur son territoire, reflétant son parcours historique et la fusion de ses composantes culturelles.

4- La période récente a été marquée par des tentatives de vol de plusieurs éléments du patrimoine culturel marocain afin de les attribuer à d’autres parties, comme c’est le cas du zellij, du caftan et d’autres éléments culturels. Comment la recherche scientifique contribue-t-elle à faire face à cette situation?

En effet, une course a récemment éclaté entre les pays pour inscrire les éléments du patrimoine culturel auprès des organisations compétentes, donnant lieu à des tentatives de vol et de tromperie des pays et, partant, des comités des organisations. Toutefois, de telles tentatives ne peuvent porter atteinte au patrimoine séculaire du Maroc, connu en tant que destination touristique mondiale.

À mon avis, la réponse à ces incidents consiste à renforcer les registres et les inventaires des éléments du patrimoine culturel marocain et à les documenter de manière exhaustive et globale. C’est ce dont ont pris conscience les autorités de tutelle qui ont procédé au lancement de projets documentant des éléments du patrimoine culturel marocain à travers les régions du Royaume. Cette tâche a été confiée à des équipes de recherche spécialisées œuvrant selon une méthodologie scientifique et une véritable action de terrain. Nous espérons que cette opération se poursuivra selon une carte répartissant le travail sur les différents domaines du patrimoine culturel d’une part, et les différentes régions du Maroc, d’autre part.

À cet égard, la contribution de telles publications, sous forme de “guides d’action, qu’elle soit de terrain ou théorique et méthodologique”, est susceptible de soutenir, de renforcer et d’accompagner ces initiatives. Afin d’assurer également l’immunité de notre patrimoine, le rôle de la recherche scientifique et de l’approche universitaire en matière de patrimoine est considéré comme absolument essentiel pour la promotion du patrimoine national en termes d’inventaire, de documentation et de formation.

Quant à la deuxième partie de l’approche de ce sujet, à savoir la restauration, l’entretien et l’exploitation dans le développement économique, bien qu’elle soit confiée à d’autres organes exécutifs, notamment des administratifs, des techniciens et autres, elle dépend principalement de la recherche scientifique universitaire. Il est donc nécessaire que la formation et la recherche s’appuient sur les concepts d’autres disciplines connexes et d’œuvrer dans le cadre de groupes et d’équipes scientifiques multidisciplinaires. Les étudiants ne pourront le faire qu’en entreprenant des formations et des stages au sein des institutions concernées, en effectuant des visites scientifiques encadrées des chantiers de restauration et de préservation, outre le fait de s’initier aux concepts et méthodes des spécialités existant dans ce domaine, telles que l’architecture, la muséologie et l’archéologie.

5- Outre les efforts institutionnels officiels pour protéger le patrimoine culturel marocain, selon vous, comment ce patrimoine peut-il être servi à travers le plaidoyer civil?

Des indicateurs clairs ont fait leur apparition jetant la lumière sur la réalité du patrimoine au Maroc et le domaine du développement et du plaidoyer en général. Un discours sur le patrimoine culturel a commencé à se produire, rempli de concepts et de questions liés au développement. Des données scientifiques et documentaires importantes sont désormais disponibles à ce sujet grâce à la multiplicité des programmes et projets scientifiques officiels et individuels. Il y a une sorte de prise de conscience de l’importance du patrimoine pour le développement. On peut citer ici de nombreux exemples de villes historiques marocaines, comme Marrakech et Fès. La société civile a également émergé au début du troisième millénaire comme un acteur majeur dans la protection du patrimoine à travers la tenue de manifestations, la recherche de partenariats et le lancement d’initiatives de développement au tour du patrimoine.

En effet, les questions patrimoniales sont présentes sous diverses formes dans les préoccupations du réseau des associations, considérées comme un partenaire fiable pour de nombreuses parties étrangères qui soutiennent le Royaume dans ce domaine, ce qui les a amenées à s’engager à leurs côtés dans des projets aux financements importants et en lien direct avec la population. Ainsi, ces associations ont tenté de s’approprier les systèmes de gestion traditionnels (tribu, jmaâ, twiza, etc.) et de relancer le patrimoine des zones dans lesquelles elles sont actives en faisant revivre des éléments du patrimoine culturel et en promouvant la conscience à cet égard, voire même assurer sa relance et sa gestion, comme le fait de veiller sur les systèmes d’irrigation traditionnels, l’organisation des célébrations religieuses et des rituels qui étaient en voie d’extinction, outre de nombreux jeux populaires et coutumes anciennes (Bilmawn ou Boujloud à Agadir, la procession des cierges à Salé et Taghonja, etc.). Cette implication de la société civile et son plaidoyer en faveur des questions du patrimoine dans diverses enceintes nationales et internationales sont susceptibles de garantir leur efficacité et leur efficience. Le plaidoyer de certaines parties a permis d’inscrire des éléments du patrimoine sur la liste du patrimoine humain, comme ce fut le cas avec la danse Taskwin.

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