Économie

AFIS : Interview avec le représentant régional pour le Maghreb de la Société financière internationale, David Tinel

Propos recueillis par Malika Mojahid.

 

Le représentant régional pour le Maghreb de la Société financière internationale (IFC), David Tinel, a accordé une interview à la MAP, à l’occasion de l’Africa Financial Summit (AFIS-2024), prévu les 9 et 10 décembre à Casablanca, sous le thème “Le temps des puissances financières africaines est venu”.

Dans cette interview, M.Tinel met l’accent sur la solidité du système financier marocain, l’avenir de la finance durable, la coopération entre le Maroc et l’IFC ainsi que la tenue de l’AFIS au Maroc.

– Avec une économie marocaine en pleine transition et un secteur financier qui évolue rapidement, comment évaluez-vous la maturité et la compétitivité du système financier marocain par rapport à d’autres marchés africains ?

Le Maroc possède l’un des secteurs financiers les plus stables d’Afrique, un cadre réglementaire conforme aux normes internationales sous la supervision de la banque centrale, Bank Al-Maghrib.

Les fondamentaux macroéconomiques solides ont permis de surmonter les pénuries de liquidités antérieures. Le paysage bancaire est compétitif, avec ses 24 banques, dont cinq à capitaux majoritairement étrangers et cinq banques participatives, institutions conformes à la charia.

Pour évaluer la maturité d’un système financier d’un pays, les experts utilisent souvent l’indice de développement financier du Fonds monétaire international (FMI), qui attribue des scores allant de 0 à 1, les plus élevées indiquant une plus grande efficacité financière.

En 2021, le Maroc a obtenu un score de 0,43, supérieur à celui de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et de plusieurs pays d’Afrique du Nord. Cela reflète l’avancement de son système financier, soutenu par une infrastructure bancaire solide et des réformes réglementaires ambitieuses.

– En tant que représentant de l’IFC, pouvez-vous nous dire comment votre institution contribue au développement de l’industrie financière au Maroc, en particulier en termes de financement des PME, d’accès au capital pour les start-up et d’inclusion financière ?

Au cours des soixante dernières années, l’IFC a travaillé avec le Maroc pour libérer le potentiel du secteur privé, permettant ainsi au pays de se positionner comme un hub d’investissement, d’innovation et de développement économique en Afrique.

Depuis 1962, nous avons collaboré avec plus d’une centaine de partenaires publics et privés. Nous avons investi et mobilisé plus de 3,5 milliards de dollars pour soutenir les petites entreprises, les fabricants, les agro-industries, les infrastructures et le secteur financier.

Pour soutenir l’industrie financière, nous établissons des partenariats avec des entreprises marocaines afin d’orienter les investissements vers les bénéficiaires appropriés. Par exemple, nous avons mis en place un mécanisme de partage des risques de 36 millions de dollars avec la Banque Centrale Populaire (BCP) et la Compagnie marocaine de Goutte-à-Goutte et de Pompage (CMGP) pour soutenir l’agriculture durable.

En partenariat avec Mediterrania Capital, nous avons injecté 10 millions d’euros en fonds propres dans Cash Plus en vue de favoriser l’inclusion financière.

– Le Maroc s’est positionné comme un leader africain en matière de finance verte et durable. À votre avis, quels leviers doivent encore être activés pour que le pays devienne une plaque tournante régionale de la finance durable, notamment en mobilisant davantage d’investissements étrangers ?

Au cours des 20 dernières années, le Maroc a pris des mesures décisives pour lutter contre le changement climatique dans le cadre de politiques nationales et sectorielles ambitieuses.

Des engagements forts ont été pris par les autorités en faveur du climat comme la neutralité carbone à l’horizon 2050. Par ailleurs, le Maroc a fait d’importants progrès dans le développement de projets d’énergie renouvelable, notamment à travers des projets solaires et éoliens.

Cependant, le pays doit davantage financer les actifs liés au climat – un besoin de financement climatique estimé à près de 80 milliards de dollars à l’horizon 2030 – pour atteindre ses objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Avec un système financier engagé pour la lutte contre le changement climatique et une disponibilité accrue du crédit, le financement vert au Maroc a un vrai potentiel de croissance.

Les banques peuvent financer la transition vers une économie bas carbone et les grands projets d’adaptation. Pour se faire, les banques doivent renforcer davantage leur capacité en matière de financement et de gestion des risques climatiques notamment en proposant des produits et services financiers et non financiers dédiés au climat.

Dans le cadre de sa stratégie de développement de la finance durable en Afrique, l’IFC a financé des projets verts au Maroc et a appuyé des initiatives en faveur du climat telles que la définition des lignes directrices pour l’émission des obligations vertes ou l’appui de banques de la place en termes de renforcement de gestion des risques climatiques.

Le Maroc dispose d’atouts pour devenir un hub régional de la finance durable. D’abord, il est crucial de continuer à renforcer le cadre réglementaire et les incitations fiscales pour attirer les investissements verts. Ensuite, le développement de partenariats public-privé peut davantage catalyser des projets durables.

Par ailleurs, l’amélioration de la transparence notamment à travers des reporting de durabilité et de la bonne gouvernance des projets verts renforcera la confiance des investisseurs étrangers.

Enfin, la promotion de l’innovation financière, comme les obligations de biodiversité ou de transition et les fonds d’investissement durables, peut diversifier les sources de financement et attirer davantage de capitaux internationaux.

 

– Le Maroc joue un rôle clé dans l’intégration économique de l’Afrique, en particulier grâce à son ancrage dans des institutions telles que l’Union africaine et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Selon vous, quelles opportunités le secteur financier marocain peut-il exploiter dans le cadre de cette dynamique d’intégration régionale ?

Le Maroc a historiquement été un investisseur majeur en Afrique, se positionnant comme une “porte d’entrée de l’Afrique”. Il est le deuxième investisseur africain en Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud, et le premier en Afrique de l’Ouest.

Les banques marocaines, parmi les plus importantes du continent, ont favorisé l’expansion d’autres secteurs, comme les entreprises manufacturières. L’expansion des banques marocaines a accompagné l’augmentation des flux commerciaux et l’essor des entreprises marocaines en Afrique subsaharienne.

Depuis les années 2000, l’IFC a soutenu l’expansion en Afrique de grands groupes bancaires et d’assurance marocains, tels que la Banque Centrale Populaire (BCP), Attijariwafa Bank, Bank of Africa (BOA), Saham Group et Holmarcom.

Les entreprises marocaines peuvent bénéficier de la ZLECAf, qui leur offre un accès à plus d’un milliard de consommateurs sans droits de douane. Les banques marocaines ont, ainsi, l’opportunité de soutenir davantage l’expansion internationale des grandes entreprises du pays.

– Dans un contexte marqué par l’émergence des fintechs et la numérisation des services financiers, comment le secteur financier marocain peut-il accélérer l’inclusion financière, en particulier dans les zones rurales et auprès des populations vulnérables ?

Avec l’émergence des fintechs, le secteur financier marocain peut renforcer l’inclusion financière des populations historiquement exclues. La numérisation offre une flexibilité accrue et une meilleure accessibilité comparée aux solutions bancaires traditionnelles.

Les solutions de paiement mobile, en partenariat avec des opérateurs de téléphonie, peuvent faciliter l’adoption de plateformes de paiement mobile et le développement de solutions bancaires spécifiques pour les populations moins intégrées, notamment la micro épargne ou le micro prêt.

Des programmes d’éducation financière diffusés dans les zones rurales peuvent familiariser les populations avec le système bancaire. Les intermédiaires bancaires locaux peuvent utiliser des outils numériques pour accroître l’utilisation du système bancaire par les populations les plus vulnérables.

Au niveau de l’agrifinance, l’IFC collabore avec des partenaires marocains pour intégrer les AgTechs dans les institutions financières, améliorant ainsi l’accès au financement pour les petits exploitants agricoles, la productivité et la sécurité alimentaire.

– Pourquoi est-il important pour vous de co-organiser l’AFIS avec Jeune Afrique Media Group et le gouvernement marocain, prévu à Casablanca en décembre ?

Casablanca, en tant que grande place financière reliant l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient, constitue un cadre idéal pour accueillir l’AFIS. Le forum représente une occasion unique pour dialoguer avec des acteurs majeurs de la finance provenant de tout le continent et d’ailleurs, afin de bâtir une vision commune pour l’avenir de la finance africaine.

Pour l’IFC, représentant un des leaders du développement des investissements du secteur privé en Afrique, AFIS constitue une plateforme essentielle pour renforcer les partenariats, stimuler l’innovation et promouvoir un programme de développement économique ambitieux à l’échelle africaine.

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